« Les entrepreneurs Africains sont les héros de l’intégration du continent, ils lui donnent une réalité concrète. C’est pour cela que nous avons souhaité leur rendre hommage, en identifiant 150 entreprises – moitié Africaines, moitié Multinationales, qui sont à l’avant-garde de l’intégration du continent ». Interview avec Patrick Dupoux, Senior Partner & Managing Director chez le Boston Consulting Group.

La Tribune Afrique : Le Boston Consulting Group (BCG) est sur le point de publier une étude sur l’intégration africaine. Pourquoi avoir choisi cette thématique en particulier ?

Patrick Dupoux : Parce que c’est la tendance qui nous parait la plus intéressante aujourd’hui. Ces dernières années, nous avons publié plusieurs études sur l’émergence économique de l’Afrique, ainsi que sur la nécessité de faire évoluer son modèle économique « de comptoir » basé sur l’extraction des ressources naturelles, à un modèle plus diversifié, basé sur la construction d’écosystèmes de production locale. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde sur la réalité de l’émergence économique du continent et sur ses priorités d’un développement diversifié.

En revanche, il est une tendance plus récente : l’intégration économique du continent – longtemps rêvée mais encore peu mise en œuvre, s’accélère enfin depuis quelques années.

Comment expliquez-vous que cette tendance soit nouvelle, alors que les processus d’intégration régionale ont été entamés en Afrique dans le domaine politique depuis plusieurs décennies déjà ?

Parce que justement, s’il y avait certes des intentions politiques affichées, la réalité c’est que l’Afrique était – et reste encore – le continent le moins intégré de notre planète. L’Afrique est même un continent « hyper-fragmenté ».

De quel point de vue ?

D’un point de vue géographique déjà : compte tenu de l’immensité du continent et du manque de lignes aériennes directes, où que vous soyez en Afrique, plus du tiers du continent se trouve à plus de 15 heures d’avion, contre 7 heures en Asie ou en Amérique du Sud, et seulement 3 heures en Europe.

D’un point de vue logistique, le manque de corridors routiers rend difficile les échanges de marchandises entre pays Africains. Le coût d’aller vendre ses produits dans un autres pays Africain est le double de ce qu’il est dans d’autres régions.

D’un point de vue politique, avec 54 pays pour une population d’un peu plus d’1 Milliard d’habitant et un PIB de 2000 Milliards d’Euros, l’Afrique est le continent le plus fragmenté. Que ce soit en termes de poids économique ou de population, les pays Africains sont en moyenne plus petits que leurs homologues Asiatiques, Américain ou Européens.

Mais là où la quasi-totalité des pays européens ont construit une Union Européenne unique, l’Afrique affiche 16 zones économiques qui, en plus, se chevauchent et manquent de cohérence. Et je ne parle même pas des visas : 80% des Africains en ont besoin pour voyager en Afrique !

Quels sont les éléments concrets qui ressortent de votre étude et qui vous font dire que cette fragmentation est en train de faire place à l’intégration ?

Malgré toutes ces difficultés évoquées, l’intégration Africaine est en marche. On peut le constater à travers quatre indicateurs.

Le premier, c’est le montant des investissements intra-Africains, qui a triplé en 10 ans. En terme relatif, ceux-ci constituent désormais 13% des investissements directs étrangers (IDE) du continent, contre seulement 6% il y a dix ans. Si on regarde les acquisitions réalisées en Afrique ces deux dernières années, pour la première fois, plus de la moitié ont été réalisées par des entreprises d’autres pays Africains. L’Afrique investit en Afrique.

Les exportations intra-Africaines ont aussi fortement progressé. Elles représentent près de 20% des exportations du continent, contre 12% il y a 10 ans. L’Afrique exporte en Afrique.

Enfin, pour la première fois, les Africains représentent plus de la moitié des touristes et passagers internationaux sur le Continent. L’Afrique voyage en Afrique.

Les échanges financiers, humains et de marchandises entre pays Africains progressent. Ce sont eux les révélateurs de l’intégration économique du continent.

Votre étude illustre l’importance des entreprises dans cette intégration. Pourquoi ?

Lors de nos précédents rapports, nous avions choisi d’illustrer l’émergence économique du continent à travers ses entreprises, qu’elles soient Africaines ou multinationales. Or nous constatons que sont les entrepreneurs qui tirent l’intégration du continent. Par exemple, les 30 plus grandes entreprises Africaines, qui étaient présentes en moyenne dans 8 pays Africains en 2008, sont aujourd’hui dans 16 pays. On peut citer les compagnies aériennes- Ethiopian Airlines, Rwand’Air, RAM, Air Côte d’Ivoire notamment, qui ont plus que doublé leur couverture en 10 ans, et ainsi permis les échanges. Les Banques, notamment Marocaines, qui se sont pan-Africanisées, tirant derrière elle les opérateurs économiques. Les opérateurs de télécommunications, qui se sont alliés pour connecter les pays Africains entre eux et au reste du monde. Les médias Africains – comme vous-même d’ailleurs – qui accélèrent les échanges d’informations, ou organisent des évènements permettant aux décideurs de se rencontrer. Les entrepreneurs Africains sont les héros de l’intégration du continent, ils lui donnent une réalité concrète. C’est pour cela que nous avons souhaité leur rendre hommage, en identifiant 150 entreprises – moitié Africaines, moitié Multinationales, qui sont à l’avant-garde de l’intégration du continent.

Quelles sont vos prévisions quant à l’évolution future de cette tendance ?

Nous pensons qu’elle va se poursuivre. Il n’y a pas de fatalité à la faible intégration du continent. C’est certainement l’un des freins à son développement économique. En combinant les volontés politiques récentes – le Maroc en tête, et le dynamisme de ses entrepreneurs, l’Afrique devrait continuer son intégration. Ce qui est intéressant, c’est que l’intégration, qui se faisait essentiellement par sous-ensembles régionaux – la zone CFA, l’Afrique de l’Est … – est en train de devenir véritablement régionale. Les Marocains investissent en Afrique de l’Est anglophone, les Sud-Africains au Maroc, les Nigérians sortent du Nigéria etc…

Que répondez-vous à ceux qui mettent en avant les dangers d’un excès d’ouverture économique et commerciale ?

Alors que l’on assiste à un repli protectionniste dans certaines régions du monde, l’Afrique gagnerait à être plus intégrée. Pour peser au niveau international. Pour diversifier ses sources d’investissement. Pour permettre à ses entreprises d’atteindre une taille critique pour être compétitive. L’intégration est un accélérateur économique.

Pourtant, les plus faibles risquent de pâtir de la concurrence qu’implique l’ouverture…

L’intégration économique régionale est en général bénéfique pour les petits pays : cela a été le cas en Europe, en Amérique du Sud, plus récemment en Asie du Sud-Est. Elle fait apparaître certains pays sur le radar des investisseurs internationaux, en intégrant des ensembles plus vastes. Ensuite, il faut évidemment que cette intégration se fasse dans des termes qui permettent à tout le monde d’y gagner. Dans de nombreux secteurs économiques, où l’Afrique continue d’importer massivement, l’intégration représente une meilleure d’enclencher un co-développement à l’échelle régionale

A quand un marché unique africain ?

Nous ne sommes pas encore proches d’un marché unique africain. En revanche, on devrait assister à une plus forte convergence et une extension des zones économiques et commerciales. La bonne nouvelle, c’est que l’intégration du continent est enfin en marche, et que les entrepreneurs Africains sont à l’avant-garde de ce mouvement.

About The Author

CEO AfrikaTech

Comme beaucoup de personnes j’ai connu l’Afrique à travers des stéréotypes : l’Afrique est pauvre, il y a la guerre, famine… Je suis devenu entrepreneur pour briser ces clichés et participer à la construction du continent. J’ai lancé plusieurs entreprises dont Kareea (Formation et développement web), Tutorys (Plate-forme de e-learning), AfrikanFunding (Plate-forme de crowdfunding). Après un échec sur ma startup Tutorys, à cause d’une mauvaise exécution Business, un manque de réseau, pas de mentor, je suis parti 6 mois en immersion dans l’écosystème Tech au Sénégal. J’ai rencontré de nombreux entrepreneurs passionnés, talentueux et déterminés. A mon retour sur Paris je décide de raconter leur histoire en créant le média AfrikaTech. L'objectif est de soutenir les entrepreneurs qui se battent quotidiennement en Afrique en leur offrant la visibilité, les connaissances, le réseautage et les capitaux nécessaires pour réussir. L'Afrique de demain se construit aujourd'hui ensemble. Rejoignez-nous ! LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/boubacardiallo

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