Au pays des diplômés chômeurs, Alaya Bettaieb peut mettre en avant les bons chiffres de l’école d’ingénieurs dont il dirige l’incubateur d’entreprises : « A la fin de leur cursus, 100 % de nos étudiants trouvent du travail. Souvent très bien rémunérés à l’étranger. Ceux qui restent créent le plus souvent leur propre entreprise sur place, en Tunisie. »

Un parcours entièrement tourné vers l’employabilité. Bienvenue à Esprit. L’abréviation pour Ecole supérieure privée d’ingénieurs et de technologie de Tunis. Nous sommes en plein cœur du technopôle d’Al-Ghazala, dans la banlieue nord de la capitale tunisienne.

Cette année, l’école Esprit accueille environ 4 800 étudiants. Quand ils ne déambulent pas dans les couloirs, filles et garçons se retrouvent en binôme pour travailler d’arrache-pied sur leurs projets de fin d’études. La mixité est totale. La culture internationale aussi et il n’est pas rare de croiser dans les salles de cours des étudiants venus de toute l’Afrique francophone, attiré par la qualité de l’enseignement fournie par l’école : Mauritanie, Bénin, Tchad

Depuis sa création en 2003 sous statut de droit privé, la réputation d’excellence d’Esprit a largement dépassé les frontières du continent africain : accords technologiques avec la Digital Media Zone de Toronto, partenariats académiques avec Cisco ou Microsoft, échanges universitaires avec l’Université technique de Munich ou l’Institut Mines-Télécom de Paris

« Aider la Tunisie à rester debout »

Conquérante, l’école Esprit se paie chaque année le luxe de rafler une ribambelle de compétitions technologiques comme la Imagine Cup ou le Global Mobile Challenge. Et dans les hackatons étudiants qui se tiennent simultanément entre écoles d’ingénieurs à travers le monde, l’école d’ingénieurs fait souvent figure d’adversaire redoutable, presque insolent.

Tant et si bien que certains campus ont préféré jeter l’éponge : « Les étudiants d’Esprit remportaient systématiquement les défis, deux voire trois années de suite. Du coup, certaines écoles européennes ont décidé de ne plus mettre leurs étudiants en compétition avec les nôtres », déplore Imed Amri, le directeur du pôle de recherche et de prototypage Esprit Mobile, dont l’étagère à trophées déborde.

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Le directeur de l'incubateur de l'école d'ingénieurs Esprit, Alaya Bettaieb, et la coach Mariem Ben Maallem reçoivent un jeune porteur de projet togolais.

Le directeur de l’incubateur de l’école d’ingénieurs Esprit, Alaya Bettaieb, et la coach Mariem Ben Maallem reçoivent un jeune porteur de projet togolais. CRÉDITS : ESPRIT INCUBATOR

La pénurie d’emplois ainsi que les fortes disparités régionales ont été à l’origine des importantes émeutes sociales qui ont fortement secoué la Tunisie entre le 16 et le 23 janvier. En embuscade, les mouvements djihadistes, qui profitent de la situation pour recruter parmi la masse des diplômés chômeurs et des déclassés.

Pour lutter contre le chômage, Esprit a décidé d’agir à son niveau en mettant sur pied dès 2014 son propre incubateur d’entreprises, qui s’étend sur plusieurs centaines de mètres carrés au sein du campus.« Nous sommes convaincus que les entrepreneurs peuvent aider la Tunisie à rester debout », plaide Alaya Bettaieb, le directeur de l’incubateur d’Esprit.

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A ses côtés, son assistante, Mariem Ben Maallem, va plus loin : « Chacune des start-up que nous accompagnons recrute en moyenne une dizaine de personnes, et ce nombre augmente au fur et à mesure qu’elles se développent. En créant des emplois et en faisant reculer le chômage, l’entrepreneuriat permet donc de faire reculer l’influence des djihadistes. »

Au début de chaque semestre, l’incubateur d’Esprit prend par la main les étudiants tunisiens qui, à la fin de leur cursus, quittent l’école et ses enseignements théoriques pour démarrer leur propre start-up, à condition qu’elle ait un impact social important. L’incubateur met à leur disposition des bureaux ultra modernes, du coaching, ainsi qu’un sérieux coup de pouce à l’internationalisation.

L’accompagnement des incubés

« Actuellement, nous aidons l’une de nos start-up spécialisées dans la santé 2.0 à trouver des partenaires aux Etats-Unis afin de réaliser un prototype de bracelet connecté, capable de prévenir les maladies cardiaques. Je passe mon temps à donner des coups de téléphone », explique Alaya Bettaieb. Sur place, plusieurs grands comptes technologiques participent à l’accompagnement des incubés, dont Orangeet Samsung. Pour renforcer ses activités, l’incubateur d’Esprit a reçu à la fin de l’année 2015 un financement de 135 000 euros de la part de la Proparco, la filiale de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) dédiée au développement du secteur privé.

Pour intégrer l’incubateur, la compétition est franchement rude : seuls douze projets d’entreprise sont soigneusement choisis chaque année, par promotion de six. Pas une de plus. Or les candidatures affluent de partout, par centaines. Aussi bien de Tunis que des régions intérieures très défavorisées. Alaya Bettaieb justifie cette sélectivité : « Notre top priorité, c’est la lutte contre le chômage. Si bien que seules les entreprises ayant une forte valeur ajoutée sociale et donc un impact mesurable sur la société tunisienne nous intéressent. La création d’emplois est un facteur déterminant. »

Dans la dernière promotion de l’incubateur, des projets à fort potentiel de création d’emplois ont vu le jour dans le big data, les transports ou la santé connectée. Certaines start-up sont déjà en train de signerleurs premiers contrats avec des donneurs d’ordre internationaux.

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C’est pour dénicher sans cesse de nouveaux talents que l’incubateur d’Esprit organise des ateliers de sensibilisation à l’entrepreneuriat et de coaching ouverts à tous autour de thématiques sociales. « La jeunesse tunisienne est désenchantée, analyse M. Bettaieb. Notre mission, c’est de les convaincre qu’il est possible aujourd’hui de créer son propre emploi, grâce au numérique. »

Faute de moyens, ces événements sont jusqu’à présent restés concentrés sur Tunis. Mais, en 2016, l’incubateur veut tenter d’organiser ses premières sessions de coaching dans les régions intérieures de la Tunisie. Les profils les plus prometteurs auraient alors la possibilité de rejoindre un programme de pré-incubation sur le campus d’Esprit, où ils apprendront à entreprendre grâce aux technologies. Et àdévelopper des solutions « scalables », c’est-à-dire générant du revenu, et élaborées à partir de leurs propres problèmes quotidiens. « Au fond, nous apparaissons comme un levier aux yeux de ces entrepreneurs, la possibilité d’un nouveau départ. Mais tout l’effort ne peut reposer que sur nous, prévient Alaya Bettaieb. Il faudrait qu’en Tunisie, chaque université, chaque école d’ingénieurs crée son propre incubateur d’entreprises afin de lutter efficacement contre l’extrémisme par la création d’emplois. »
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/15/en-tunisie-entreprendre-c-est-resister-au-chomage-et-au-terrorisme_4883182_3212.html#svovRJUkT64QymyU.99

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CEO AfrikaTech

Comme beaucoup de personnes j’ai connu l’Afrique à travers des stéréotypes : l’Afrique est pauvre, il y a la guerre, famine… Je suis devenu entrepreneur pour briser ces clichés et participer à la construction du continent. J’ai lancé plusieurs entreprises dont Kareea (Formation et développement web), Tutorys (Plate-forme de e-learning), AfrikanFunding (Plate-forme de crowdfunding). Après un échec sur ma startup Tutorys, à cause d’une mauvaise exécution Business, un manque de réseau, pas de mentor, je suis parti 6 mois en immersion dans l’écosystème Tech au Sénégal. J’ai rencontré de nombreux entrepreneurs passionnés, talentueux et déterminés. A mon retour sur Paris je décide de raconter leur histoire en créant le média AfrikaTech. L'objectif est de soutenir les entrepreneurs qui se battent quotidiennement en Afrique en leur offrant la visibilité, les connaissances, le réseautage et les capitaux nécessaires pour réussir. L'Afrique de demain se construit aujourd'hui ensemble. Rejoignez-nous ! LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/boubacardiallo

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