Entre Guinée et Niger, regards croisés sur l’entrepreneuriat en Afrique, avec Fatoumata Guirassy, Directrice de SabouTech, et Almoktar Allahoury, Directeur du CIPMEN : deux incubateurs qui marquent l’avènement d’un nouvel écosystème sur un continent en pleine évolution. Ludovic Centonze, Responsable de projets Orange pour le développement, leur donne la parole.

L’époque où les premiers incubateurs de l’Afrique de l’Ouest passaient pour des expérimentations, pleines de promesses mais aussi d’interrogations, est révolue. Aujourd’hui, ces briques fondamentales du développement des éco-systèmes entrepreneuriaux innovants sont des acteurs majeurs du paysage numérique africain. Et au-delà de leur succès, ils sont en train de passer un cap remarquable : ils se mettent en réseau pour unir leurs efforts et opérer un passage à l’échelle majeur.

A l’occasion de l’événement Sahelinnov, Orange se félicite de constater que le programme Orange pour le Développement (O4D) porte ses fruits. Soutenu notamment par Afric’innov, le Programme Afrique Innovation, l’Agence Française de Développement et Orange, Sahelinnov marque l’émergence d’un réseau très inclusif et d’un programme d’accélération de startup qui couvre : Guinée, Sénégal, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina et Tchad. Un réseau d’innovation qui promet de devenir une référence régionale dans les années à venir.

Promoteurs et chevilles ouvrières de cette nouvelle ère, Fatoumata Guirassy, Directrice de l’incubateur SabouTech à Conakry, et Almoktar Allahoury, Directeur de l’incubateur CIPMEN à Niamey, témoignent de la formidable dynamique d’une génération numérique africaine qui monte.

Ludovic Centonze : Vous avez fait le choix de quitter une situation professionnelle confortable à l’international pour vous lancer dans l’entrepreneuriat dans vos pays d’origine. Quelles convictions vous y ont poussés ?

Fatoumata Guirassy : Mes parents sont très attachés à leur pays d’origine, qu’ils ont quitté dans les années 70, et j’ai toujours vécu dans une double culture. J’étais émerveillée à chaque voyage qui me faisait revenir au pays. Le déclic s’est réellement opéré lors de missions en Afrique alors que je travaillais dans une entreprise en France. J’ai parcouru le continent et j’ai senti qu’il y avait quelque chose à faire, des opportunités à saisir quand, en Europe, tout semblait déjà fait. Le projet a mûri, je suis venue et je ne regrette rien.

Almoktar Allahoury : C’était mon plan de départ. Mon profil est rare au Niger, et j’ai été boursier de l’état jusqu’à vingt ans. C’était naturel d’y retourner : tout ce que l’on fait ici est plus impactant. La transformation économique en France est très complexe, avec des enjeux colossaux et beaucoup d’existant. Ici, on a le sentiment de pouvoir profiter du saut technologique, il y a moins de pesanteur et on peut réellement construire des choses pour l’avenir, avec des défis qu’aucun pays n’a jamais connu.

L.C. : Comment l’Afrique est-elle en train de changer ?

F.G. : Quand on rencontre nos homologues d’autres incubateurs, on voit que les choses bougent. Les jeunes réalisent qu’ils ne peuvent pas compter sur l’État, et que les problèmes peuvent se transformer en opportunités. En Guinée, Ebola a gelé l’activité pendant un moment, mais le pays est doté d’un grand potentiel, minier, agricole, énergétique, et d’une population jeune très nombreuse et dynamique, dont malheureusement 60% est au chômage. L’entreprenariat est une réponse directe dans un pays où l’offre d’emploi est au plus bas. Les success stories qui émergent dans ce contexte sont autant d’exemples qui encouragent de nouvelles personnes à se lancer. Internet est un facteur clé de cette transformation du continent, mais il y a pour structurer l’écosystème un travail d’éducation à faire, aussi bien auprès de la population que des pouvoirs publics. Le modèle de l’incubateur apparaît comme le tremplin dont le pays a besoin.

A.A. : Il y a quinze ans, on surnommait l’Afrique le « continent sans espoir ». Aujourd’hui, on parle d’une « Afrique qui se lève ». La diaspora a tendance à rentrer, il y a un réel dynamisme dans le domaine de l’innovation, tiré par les pays anglophones comme le Kenya qui ont des écosystèmes plus matures. Mais innover et entreprendre est surtout une nécessité ! Car localement la situation est toujours difficile. Au Niger, le défi est triple dans une région particulièrement exposée au changement climatique, entourée de zones de conflit et en pleine explosion démographique. Avec le CIPMEN, qui est le premier projet d’incubateur du pays, nous voulons montrer l’exemple à travers des réussites concrètes pour poser les premières briques d’un écosystème. La PME est une réponse directe au chômage : elle embauche, innove et permettra ainsi de créer une classe moyenne, moteur de l’économie.

L.C. : Fatoumata, y-a-t-il un rôle particulier des femmes dans ces nouvelles formes d’économie ?

F.G. : En Guinée, les femmes ont un rôle très important dans l’économie informelle, les petits commerces, les marchés… Mais elles sont beaucoup moins présentes dans la nouvelle économie, car elles ne sont pas conscientes de tout ce qu’elles peuvent y faire. Ainsi, nous recevons peu de candidatures de femmes à SabouTech. Une partie de notre programme est dédié à la sensibilisation des jeunes femmes aux TIC : nous cherchons la parité dans les groupes d’étudiants auxquels nous nous adressons, et nous encourageons les candidatures féminines. Elles ont tout à y gagner et le pays aussi.

L.C. : Almoktar, vous êtes à la tête de l’un des plus anciens incubateurs de la sous-région (avec le CTIC Dakar), pouvons-nous dire que vous avez franchi avec succès une première étape ?

A.A. : L’objectif est fixé à cinq ans pour l’autonomie financière et nous avons atteint les 70% à trois ans. Nous avons déménagé pour accueillir plus d’entreprises, et en avril prochain, la première promotion sortira de l’incubateur, avec de très belles réussites dans des domaines variés : studio de production dont l’émission économique passe à la télévision, services numériques de vidéo surveillance et vidéo à la demande pour les commerçants, drones civils manufacturés au Niger et utilisés par exemple dans l’agriculture pour surveiller l’évolution des cultures… Ce sont toutes des initiatives à fort impact social et économique qui peuvent répondre aux défis de ce continent.

L.C. : Travaillez-vous ensemble malgré la distance qui sépare vos deux pays ? Vous sentez-vous partie prenante d’un mouvement régional fort ?

F.G. : Les liens sont étroits entre nos incubateurs. Il faut savoir que nous nous sommes appuyés sur le modèle et l’expérience du CIPMEN pour lancer SabouTech. Le CIPMEN a quant à lui été créé grâce au soutien de CTIC Dakar, incubateur « historique » du continent qui a été lancé en 2011. SabouTech servira à son tour de modèle pour l’ouverture d’un nouvel incubateur. Avant notre lancement et aujourd’hui encore, nous travaillons donc ensemble et échangeons beaucoup, même si ce n’est pas de façon formelle.

A.A. : Plusieurs initiatives sont en cours, d’un côté pour rapprocher start-ups africaines et française au travers de résidences d’entreprises par exemple, de l’autre pour créer un maillage au sein même du continent. C’est tout l’objet de l’évènement annuel Sahelinnov que nous sommes en train de monter pour rassembler les start-ups et dupliquer leurs idées dans une zone touchée par les mêmes problématiques.

L.C. : Quelles sont vos attentes vis-à-vis de l’Europe et des grands groupes industriels qui vous soutiennent comme Orange ?

F.G. : À l’avenir, l’important est à mon sens de nourrir cet écosystème, pas nécessairement par un soutien financier des acteurs, mais au travers d’un ancrage local fort, qui facilitera la coopération et démultipliera le développement d’activités communes, avec les entreprises comme avec les universités.

A.A. : Le lancement du CIPMEN et de SabouTech a été initié par Orange, puis d’autres entreprises (Total, Bolloré, la Société Générale…) et institutions ont été invitées à la table pour un partenariat public/privé. Cette organisation en association, au contact d’acteurs de poids, est très bénéfique au démarrage pour acquérir tous les outils, et facilite l’accès aux investissements pour nos start-ups. C’est ce genre de relation que nous voulons entretenir dans le futur.

Almoktar Allahoury, Directeur du CIPMEN : Almoktar Allahoury est Nigérien. Il a suivi une classe préparatoire au Maroc puis des études d’ingénieur en France, avant d’intégrer plusieurs cabinets de conseil. Rentré au Niger en 2012, il postule pour devenir directeur d’un incubateur en devenir : le Centre Incubateur des PME au Niger (CIPMEN). Le CIPMEN a lancé officiellement ses activités en avril 2014 avec cinq entreprises en incubation. Créé sous la forme d’une association appuyée par un partenariat public/privé rassemblant notamment de grandes entreprises françaises, dont Orange, l’incubateur accompagne aujourd’hui douze entreprises dans les domaines du numérique, des énergies renouvelables, de l’environnement et de l’agro-business. Elle propose deux programmes : la pré-incubation, qui accompagne les acteurs de la phase d’idée à la création de leur entreprise pendant trois à six mois, et l’incubation sur trois ans.

Fatoumata Guirassy, Directrice de SabouTech : Fatoumata Guirassy est née et a grandi en France, où elle a passé un Master en économie internationale à la Sorbonne, puis un MBA développement de projet en développement durable. Elle travaille cinq ans en tant que consultante dans les systèmes d’information, et c’est un VIE qui la conduit finalement en Guinée, pays d’origine de ses parents. Directrice de l’incubateur SabouTech depuis dix mois, elle a travaillé à sa mise en œuvre institutionnelle, et accompagne aujourd’hui une dizaine d’entreprises en incubation ou pré-incubation. Construit sur le même modèle de partenariat public/privé que le CIPMEN, Saboutech est le tout premier incubateur de Guinée. Il propose aux entreprises un accompagnement individualisé et œuvre à sensibiliser toutes les populations, particulièrement les jeunes, à l’entreprenariat, dans un écosystème où tout est à construire.

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CEO AfrikaTech

Comme beaucoup de personnes j’ai connu l’Afrique à travers des stéréotypes : l’Afrique est pauvre, il y a la guerre, famine… Je suis devenu entrepreneur pour briser ces clichés et participer à la construction du continent. J’ai lancé plusieurs entreprises dont Kareea (Formation et développement web), Tutorys (Plate-forme de e-learning), AfrikanFunding (Plate-forme de crowdfunding). Après un échec sur ma startup Tutorys, à cause d’une mauvaise exécution Business, un manque de réseau, pas de mentor, je suis parti 6 mois en immersion dans l’écosystème Tech au Sénégal. J’ai rencontré de nombreux entrepreneurs passionnés, talentueux et déterminés. A mon retour sur Paris je décide de raconter leur histoire en créant le média AfrikaTech. L'objectif est de soutenir les entrepreneurs qui se battent quotidiennement en Afrique en leur offrant la visibilité, les connaissances, le réseautage et les capitaux nécessaires pour réussir. L'Afrique de demain se construit aujourd'hui ensemble. Rejoignez-nous ! LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/boubacardiallo

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