Au Cameroun, les accidents de la route tuent plus que le paludisme. C’est en faisant ce constat que Achiri Arnold Nji, jeune développeur camerounais, et son équipe se sont lancés un pari : créer une application mobile pour améliorer la sécurité routière de leur pays.

Ce mercredi midi, le ballet des voitures et le concert des klaxons battent leur plein sur le boulevard du 20 mai dans le centre-ville de Yaoundé. Costume-cravate impeccable et smartphone à la main, Achiri Arnold Nji, un jeune entrepreneur de 27 ans, se fraye aisément un chemin au milieu de la circulation anarchique de la capitale camerounaise.

Il a fait le voyage depuis Buea, à 300 kilomètres de là dans la région du Sud-Ouest où est basée la start-up qu’il a cofondé et qu’il dirige, pour venir présenter sa toute dernière création au ministère des Transports devant plusieurs agences de voyage.

Sa technologie, baptisée « Traveler », est une plateforme et application mobile qui permet de surveiller la conduite des conducteurs de bus à distance et en temps réel. L’objectif : améliorer la sécurité routière dans un pays où les accidents de la route tuent plus que le paludisme, selon l’Organisation mondiale de la santé.

D’après ses estimations, plus de 20 000 personnes auraient été tuées sur la route entre 2010 et 2015. « 80 % des accidents de la route au Cameroun sont dus aux excès de vitesse. Les routes, souvent en mauvais état, et la vétusté des véhicules sont aussi en cause », explique Achiri Arnold Nji, diplômé en génie électrique de l’École polytechnique de Yaoundé.

Contrôler la vitesse et les mouvements anormaux

« L’idée de créer Traveler m’est venue il y a quelques années après un accident de bus à Bamenda (Nord-Ouest). 20 personnes sont mortes, parmi lesquelles se trouvait un ami. Je suis allé sur les lieux de la catastrophe, c’était horrible. Je me rappelle du sang, des cris, mon ami a été littéralement coupé en trois… », relate le jeune anglophone originaire de ce chef-lieu de la région du Nord-Ouest du Cameroun.

Le jeune homme, traumatisé, décide alors de plancher avec plusieurs amis développeurs sur une nouvelle technologie capable de prédire et d’anticiper les accidents de la route. La plateforme, qui fonctionne grâce à un système GPS et de collecte et d’analyse de datas, permet de contrôler en direct la vitesse d’un véhicule, mais aussi sa trajectoire, ses accélérations ou encore ses arrêts anormaux. Les passagers peuvent ainsi signaler toute conduite dangereuse ou panne via leur smartphone. En cas d’accident, le système alerte automatiquement les urgences et les proches des victimes.

Elle fait aussi office de « boîte noire » en enregistrant toutes les informations nécessaires pour établir les circonstances de la catastrophe. « Voici l’appli, c’est très simple : vous rentrez le point de départ du bus et votre destination. Puis le voyage peut commencer, on verra en direct la vitesse et la trajectoire à laquelle nous nous déplaçons », montre Akah Harvey Larry, un ingénieur informatique de 25 ans qui a cofondé l’entreprise et conçu la plateforme.

Des alertes par téléphone

Appli de surveillance pour les compagnies de bus, système d’alerte des secours pour les passagers, Traveler a aussi l’ambition de devenir un « outil d’anticipation des accidents ».

« Nous avons développé des algorithmes de prédictions, qui fonctionnent grâce aux données collectées pendant le voyage, pour pouvoir prévoir les risques de collision. En cas de danger, le chauffeur est immédiatement alerté par téléphone », poursuit Akah Harvey Larry.

L’application mobile, gratuite et disponible sur Android, a déjà été téléchargée plus de 5 000 fois et 500 véhicules sont enregistrés. « Cinq agences touristiques utilisent aussi la version professionnelle de Traveler », ajoute Achiri Arnold Nji.

Pour Achiri et son équipe d’ingénieurs – ils sont six au total – tout a commencé comme un « pari » quand ils ont décidé de se lancer dans l’aventure « Traveler » il y a deux ans. Mais, petit à petit, le groupe de jeunes entrepreneurs tout juste diplômés décroche de nombreuses distinctions en Europe et en Afrique : le prix Orange de l’entrepreneur social en 2017, le African Entrepreneurship Award en 2016, ils arrivent finalistes au grand prix de l’innovation PMExchange en 2015.

Une application  « indispensable », selon la direction camerounaise des transports

Leur appli séduit vite le monde de la « tech’ » jusqu’au gouvernement camerounais, qui se montre enthousiaste : « Cette plateforme n’est pas seulement bénéfique, elle est indispensable pour notre pays. Nous avons besoin de ce genre d’initiative technologique et de jeunes comme eux, motivés et inventifs, pour proposer des solutions pour lutter contre l’insécurité sur les routes au Cameroun », soutient le directeur des transports routiers Divine Mbamone – même si l’aide concrète du gouvernement se fait pour l’instant attendre.

Le petit groupe utilise les différentes dotations obtenus via ces récompenses (113 000 dollars, soit 92 300 euros, jusque-là) pour financer le développement de la jeune start-up. « Nous avons aussi nos familles derrière nous, elles ont cru en notre projet dès le début et nous ont aidés à investir », raconte Achiri Arnold Nji. La famille d’Achiri Arnold Nji a ainsi investi 11 millions de francs CFA dans l’entreprise, tandis que celle d’Akah Harvey Larry a contribué à hauteur de 4 millions au lancement de la start-up.

Aujourd’hui, la jeune pousse, forte d’un capital de 49 millions de francs CFA comptabilise un petit chiffre d’affaire de 400 000 francs CFA. Mais pas de quoi désespérer son chef d’entreprise qui se montre confiant : « Nous devrions générer 75 millions de francs CFA au cours de l’année 2018 grâce aux datas collectées. La compagnie de bus Touristique express a prévu d’investir 450 000 F CFA en deux ans dans notre application. Avec tout cela, nous espérons arriver à l’équilibre d’ici le mois de juin », détaille-t-il.

Lenteur administrative et coupuresinternet

Achiri Arnold Nji veut aller vite. Mais les négociations avec le ministère du Transport, elles, s’enlisent. « Trop lentes », « frustrantes », critique-t-il. Sans compter les nombreuses coupures internet dans la Silicon Mountain, surnom donné à Buea, dans la région anglophone touchée par la crise depuis plusieurs mois.  « C’était un vrai challenge », avoue-t-il quand il se rappelle leurs débuts.

Face aux problèmes de connexion internet dans le pays, les développeurs ont dû s’adapter : « Traveler peut fonctionner en hors-ligne. Elle utilise alors les dernières données enregistrées et quand la connectivité internet est rétablie, elle les synchronise automatiquement avec le serveur. Nous avons développé l’un des premiers systèmes d’urgence hors connexion pour l’assistance des passagers », se félicite-t-il.

De sa septième visite au ministère des Transports, le jeune homme espère un contrat avec le gouvernement et les agences de tourisme pour imposer l’utilisation de Traveler à tous les professionnels. Le prix de la licence, fixé à 200 000 francs CFA (environ 300 euros), reste encore au cœur des négociations.

« Les compagnies de bus se disent toutes très intéressées, mais je pense qu’elles sont encore frileuses parce que cette plateforme, qui viendrait détecter la conduite dangereuse et les excès de vitesse de leurs propres chauffeurs, les inquiètent », analyse Achiri Arnold Nji.

Pour l’équipe de jeunes développeurs, chaque aller-retour vers la capitale – six heures de bus  par trajet – est l’occasion de tester et de perfectionner l’application. « L’axe Douala-Yaoundé, par lequel nous passons, est l’une des routes les plus meurtrières au monde », indique le jeune chef d’entreprise, avant de filer d’un pas vif vers le ministère. Dernier selfie devant le bâtiment officiel, puis la bande d’amis s’engouffre, pressée, dans les couloirs vétustes en direction de la salle de réunion, prête à la négociation.

Jeune Afrique

About The Author

CEO AfrikaTech

Comme beaucoup de personnes j’ai connu l’Afrique à travers des stéréotypes : l’Afrique est pauvre, il y a la guerre, famine… Je suis devenu entrepreneur pour briser ces clichés et participer à la construction du continent. J’ai lancé plusieurs entreprises dont Kareea (Formation et développement web), Tutorys (Plate-forme de e-learning), AfrikanFunding (Plate-forme de crowdfunding). Après un échec sur ma startup Tutorys, à cause d’une mauvaise exécution Business, un manque de réseau, pas de mentor, je suis parti 6 mois en immersion dans l’écosystème Tech au Sénégal. J’ai rencontré de nombreux entrepreneurs passionnés, talentueux et déterminés. A mon retour sur Paris je décide de raconter leur histoire en créant le média AfrikaTech. L'objectif est de soutenir les entrepreneurs qui se battent quotidiennement en Afrique en leur offrant la visibilité, les connaissances, le réseautage et les capitaux nécessaires pour réussir. L'Afrique de demain se construit aujourd'hui ensemble. Rejoignez-nous ! LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/boubacardiallo

Related Posts

Leave a Reply

Your email address will not be published.