À son rythme, l'Afrique récupère progressivement son retard dans l’innovation high-tech.

Imaginez que vous vivez loin de tout, dans un village perdu sur une île isolée du lac Victoria – le plus grand d’Afrique. Imaginez que vous avez besoin de médicaments pour vous soigner mais que l’acheminement de ce traitement jusqu’à vous nécessite de nombreuses heures et n’est pas toujours possible. Que faites-vous? Attendre? Inutile, un drone autonome pourrait vous livrer le traitement en quarante minutes et repartir en emportant vos prélèvements pour les analyser rapidement. Vous pensez que c’est de la science-fiction, et bien non, Zipline, une start-up prometteuse, opère déjà ce système au Rwanda.

Imaginez à présent que vous êtes l’habitant d’un village de l’Est marocain, que vous souhaitez commander un produit depuis l’écran de votre salon, alimenté par l’énergie solaire, régler la facture depuis votre téléphone mobile et récupérer votre livraison déposée devant votre porte sous 24h… Un rêve? Non, grâce aux nouvelles technologies – et plus particulièrement à l’intelligence artificielle – cela sera bientôt possible.

L’Afrique serait-elle donc en train de récupérer petit à petit son retard dans l’innovation high-tech? Certainement. Mais à sa manière. Et à son rythme.

En effet, ce continent se différencie des autres régions du monde par la façon dont il s’accapare et exploite les nouvelles technologies. Sur le sol africain, la révolution numérique n’est pas tant caractérisée par la Tech sur laquelle elle s’appuie que par l’utilité des solutions qu’elle développe. Pour Jean-Philippe Duval, associé responsable des activités de conseil en Afrique francophone chez PwC, “la technologie ouvre de nouveaux marchés, survole les frontières, crée de l’emploi, enrichit l’offre de choix, accélère les processus d’achat et de vente, apporte de la transparence, casse les habituelles politiques de prix et raccourcit les délais d’attente. Ici comme partout ailleurs sur la planète, le high-tech révolutionne les modes de vie des populations locales“. Réussir sa transformation digitale, c’est se faire une place dans l’économie de demain!

Problème: l’Afrique souffre d’un gros souci de connectivité. De fait, c’est la région du monde la moins connectée au réseau, juste derrière l’Asie Pacifique et le Moyen-Orient. Moins de 30% des Africains ont accès au haut débit mobile (contre 43% en Asie Pacifique, avant dernier du classement, et 79% en Amérique, en tête de liste) et seulement 15% bénéficient d’un accès à Internet à domicile (contre 46% en Asie Pacifique et 84% en Europe). Or les experts sont unanimes: sans connectivité, d’une part, il est très difficile pour les chercheurs de développer des solutions high-tech de pointe, et d’autre part, pour la population locale, utiliser ces innovations technologiques dans un environnement partiellement connecté reste compliqué. Dans ce contexte, avant d’espérer pouvoir construire le continent Tech du futur, la priorité est de consolider la base de ce projet qui consiste concrètement à booster le taux de pénétration d’Internet à l’échelle continentale.

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Le continent se heurte à un autre problème: comment financer cette phase de transition? Comment booster la connectivité le plus rapidement? Afin de ne pas se laisser dépasser par le temps, des fonds créés localement se développent, souvent sous forme de taxe sur les opérateurs téléphoniques. La logique de cette manœuvre est simple: des entreprises comme par exemple Orange, Vodafone, MTN, Tigo ou Vodacom investissent dans la construction d’infrastructures permettant de relier au réseau des régions déconnectées. Une fois connectées, ces populations ont accès aux services de ces entreprises. Comme souvent, les premiers venus sont les premiers servis.

Les opérateurs téléphoniques et acteurs économiques conçoivent le développement de leur réseau en prenant en compte la question de la rentabilité à court ou moyen terme ainsi que le potentiel de développement économique de chaque région. Le système actuel est basé sur la capacité à rembourser des clients. Cependant, le volume d’investissements à réaliser dans certaines zones peut s’avérer trop important pour qu’ils envisagent la rentabilité ou la possibilité d’un déploiement, même dans le cas de partage de coûts d’infrastructures entre plusieurs opérateurs.

En effet, la question de la connectivité entraîne dans son sillage de nombreuses problématiques connexes comme la sécurité, l’énergie, l’infrastructure routière… Ce qui amène parfois les opérateurs à renoncer à se développer dans les zones offrant peu ou pas de retour sur investissement à long terme.

Face à cette situation, d’autres solutions doivent être envisagées. L’Afrique manque de fonds publics-privés pour enclencher sa révolution numérique. Mais bonne nouvelle: persuadés du fort potentiel que représente ce vaste marché dans le secteur du digital, depuis plusieurs mois, des investisseurs étrangers de taille ont déclaré vouloir miser gros sur ce continent: les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).

Facebook, Google et les autres géants du numérique n’ont plus de doute: l’époque où ils évoluaient dans un environnement échappant à toute réglementation sera bientôt révolue en Occident. De fait, les pays émergents d’Afrique sont devenus pour ces entreprises des marchés cibles, car moins matures. “Ils y ont le champ libre“, indique Bacely Yoroby, développeur ivoirien et fondateur du premier réseau Google à Abidjan. Jean-Philippe Duval, commente: “les entreprises du Web le savent: en 2050, un quart de la population mondiale vivra sur ce continent. Bâtir dès à présent des bases solides avec les décideurs de ce marché gigantesque, c’est miser sur le futur. Dans un continent où beaucoup reste à construire, il est donc logique que les GAFAM y avancent leurs pions. Les réglementations mises en place sont plus souples, la main d’œuvre est moins chère et la concurrence est moins rude que dans le reste du monde“.

À ce jour, si Amazon, le numéro un mondial des ventes en ligne, en est encore au stade de l’observation, et qu’Apple reste pour le moment un peu en retrait, Microsoft est d’ores et déjà incontournable sur le terrain institutionnel: il fournit sa technologie, notamment bureautique, à la quasi-totalité des gouvernements. Simultanément, Facebook et Alphabet – la maison-mère de Google – rivalisent d’incroyables initiatives pour convaincre les décideurs locaux de collaborer avec eux. Ce que les économies africaines ne peuvent pas s’offrir, les GAFAM le leur donnent, telle pourrait être la conclusion de l’opération séduction mise en place par les géants du high-tech… Une dynamique qui convainc certains experts et qui en horrifie d’autres qui dénoncent la manière d’opérer de ces multinationales tentaculaires: exploiter les ressources locales en mettant en place un système qui attire la valeur ajoutée vers leurs propres économies.

 

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CEO AfrikaTech

Comme beaucoup de personnes j’ai connu l’Afrique à travers des stéréotypes : l’Afrique est pauvre, il y a la guerre, famine… Je suis devenu entrepreneur pour briser ces clichés et participer à la construction du continent. J’ai lancé plusieurs entreprises dont Kareea (Formation et développement web), Tutorys (Plate-forme de e-learning), AfrikanFunding (Plate-forme de crowdfunding). Après un échec sur ma startup Tutorys, à cause d’une mauvaise exécution Business, un manque de réseau, pas de mentor, je suis parti 6 mois en immersion dans l’écosystème Tech au Sénégal. J’ai rencontré de nombreux entrepreneurs passionnés, talentueux et déterminés. A mon retour sur Paris je décide de raconter leur histoire en créant le média AfrikaTech. L'objectif est de soutenir les entrepreneurs qui se battent quotidiennement en Afrique en leur offrant la visibilité, les connaissances, le réseautage et les capitaux nécessaires pour réussir. L'Afrique de demain se construit aujourd'hui ensemble. Rejoignez-nous ! LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/boubacardiallo

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