Au Nigeria, l’essor des services numériques sur mobile bouleverse les modes de vie et accélère la croissance économique. De jeunes entrepreneurs espèrent inventer les futurs géants de l’Internet africain.

C’est une publicité qui passe en boucle, à la télévision du Nigeria. Elle met en scène deux paysans, assis au bord d’une route. Un riche propriétaire s’arrête devant eux. Il veut leur acheter une chèvre. Les paysans hésitent, se cachent le visage sous une couverture pour discuter. Puis ils annoncent un prix à l’acheteur, qui perd de sa superbe. Sous la couverture, les paysans cachaient en fait un smartphone dont l’écran indique : «Une épidémie fait monter les prix du bétail.»

Le riche acheteur repart avec sa chèvre payée au prix fort, la mine déconfite. Et dans son dos, les deux vendeurs triomphent. Le message est clair : avec l’Internet mobile, qu’on soit riche ou pauvre, chacun a désormais les mêmes chances.

Dans les faits, cela n’est peut-être pas encore tout à fait vrai au Nigeria. Mais l’essor ultrarapide de l’Internet mobile est bien en train de transformer la vie quotidienne, donnant à chacun l’accès à de nouveaux services à bas prix et offrant des possibilités d’entreprendre.

Exemple chez «Hellofood», un site Internet qui développe depuis deux ans un service de livraison de repas. Au siège, un vaste plateau, une vingtaine de salariés travaillent face à leur écran. Ils ont tous moins de 30 ans, sont à l’aise avec la technologie et portent l’uniforme des entrepreneurs du Web du monde entier : jean et tee-shirt…

Sur le site, les internautes peuvent choisir dans le menu des restaurants près de chez eux. Puis les 200 livreurs de Hellofood, qui sillonnent la ville à moto, s’engagent à arriver dans la demi-heure et encaissent le prix du repas.

«Nous avons déjà plus de 250 restaurants inscrits à Lagos, Abuja et Port Harcourt, constate Guillaume Leblond, le directeur du site, un jeune Français venu au Nigeria pour vivre l’essor du Web africain. Nous livrons plusieurs centaines de repas par jour et nous avons multiplié par quatre leur volume en un an.»

Ici aussi, les services numériques simplifient la vie et permettent de s’affranchir des réseaux traditionnels. «Au Nigeria, tout prend énormément de temps. On s’épuise à faire la queue dans un magasin, à la banque, à chaque fois que l’on doit se déplacer, observe Guillaume Leblond. Internet permet d’aller plus vite.»

Résultat : bon nombre d’activités basculent directement sur le Web, en grillant les étapes. C’est le cas dans la distribution, où l’e-commerce prend directement le relais des marchés en plein air, sans que les hypermarchés aient eu le temps de se développer.

Au Nigeria, les deux champions de l’e-commerce se nomment Jumia, créé avec des capitaux allemands et sud-africains, et Konga, fondé en 2012 par un entrepreneur local, Sim Shagaya. Trois ans à peine après son lancement, Jumia emploie 2 000 personnes et enregistre autour de 10 000 commandes par jour. Le site est capable de livrer ses produits – électroménager, ordinateurs, vêtements, meubles, etc. – dans tout le pays, dans un délai de cinq jours maximum (en dehors des régions où se déroule la guerre contre Boko Haram, dans le nord). «Nous avons une croissance mensuelle à deux chiffres», indique Fatoumata Ba, qui dirige l’entreprise.

Ce formidable développement est d’abord tiré par le succès du smartphone : 70 % des connexions de Jumia viennent d’un mobile. Car, dans ce pays de 180 millions d’habitants, la moitié de la population est équipée d’un téléphone portable. Et 15 % environ, soit tout de même près de 30 millions de personnes, ont accès à Internet via leur smartphone.

La diffusion de l’Internet mobile est facilitée par la baisse des prix et le déploiement des réseaux : la 3G (permettant d’aller sur Internet) est disponible dans toutes les grandes villes, et il est possible de se connecter en 2G (appels voix et SMS) dans tout le pays.

Les fabricants de téléphones se sont aussi adaptés au marché local. Des marques chinoises comme Infinix ou InnJoo ont créé des appareils spécifiques pour les clients africains, tirant les prix vers le bas. Elles proposent des smartphones à partir de 60 € pièce. «L’appareil photo est réglé de façon à mieux faire ressortir les peaux noires», relève Fatoumata Ba.

Du côté des services Internet, ce sont les transpositions locales de sites ayant connu le succès ailleurs, comme Amazon ou eBay, qui marchent le mieux. Mais se développent aussi des services novateurs, qui répondent à des besoins locaux.

On peut le voir à Yaba, le quartier des start-up, à Lagos, surnommé «Yabacon Valley». Ici se trouve Idea, un incubateur financé par des fonds publics, qui permet à une vingtaine de jeunes entrepreneurs locaux de développer leur idée. «Nous les aidons à mettre au point leurs business models et nous les mettons en contact avec des investisseurs», explique le fondateur, Victor Okigbo, lui-même un ancien entrepreneur du Web. Idea reçoit souvent la visite de représentants de fonds britanniques ou américains, tant le marché africain commence à intéresser le monde de l’Internet.

Parmi les jeunes pousses qui fleurissent ici, l’une tente de connecter les banques du sang de Lagos ; une autre veut vendre des pièces détachées de voiture ; une troisième propose aux étudiants de mettre en ligne leurs notes de cours, pour aider ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter des manuels scolaires.

Les entreprises présentes ici tâtonnent, mais tentent d’inventer des modèles économiques rentables pour répondre aux problèmes spécifiques à l’Afrique. Parmi elle se trouvent peut-être un futur champion de l’Internet africain, à l’image de M-Pesa, la banque sur mobile qui a conquis le Kenya, en réglant le problème de ceux qui n’avaient pas accès aux services bancaires. Les jeunes entrepreneurs d’Idea rêvent de reproduire ce succès, et de s’enrichir tout en transformant le quotidien de leurs concitoyens.

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DES INNOVATIONS QUI CHANGENT LA VIE
M-Pesa : en 2007, M-Pesa a créé au Kenya un système de paiement qui permet de transformer chaque téléphone mobile en porte-monnaie. Plus d’un milliard d’euros est échangé chaque mois.
Winsenga : en 2010, près de 200 000 bébés sont morts prématurément en Ouganda. Le logiciel Winsenga analyse le rythme cardiaque d’un fœtus en utilisant le micro d’un téléphone portable. Cette technologie est adaptée aux centres de santé en zone rurale.
Wafate 3D : le Togolais Afate Gnikou a mis au point une imprimante 3D à moins de 90 €, fabriquée à partir d’appareils recyclés.
M-Kopa : M-Kopa installe des capteurs solaires et vend de l’électricité à plus de 180 000 foyers au Kenya. Pour le prix d’une bougie, le système permet d’éclairer sa maison pendant une soirée, de faire fonctionner  une radio et de charger un téléphone.

About The Author

CEO AfrikaTech

Comme beaucoup de personnes j’ai connu l’Afrique à travers des stéréotypes : l’Afrique est pauvre, il y a la guerre, famine… Je suis devenu entrepreneur pour briser ces clichés et participer à la construction du continent. J’ai lancé plusieurs entreprises dont Kareea (Formation et développement web), Tutorys (Plate-forme de e-learning), AfrikanFunding (Plate-forme de crowdfunding). Après un échec sur ma startup Tutorys, à cause d’une mauvaise exécution Business, un manque de réseau, pas de mentor, je suis parti 6 mois en immersion dans l’écosystème Tech au Sénégal. J’ai rencontré de nombreux entrepreneurs passionnés, talentueux et déterminés. A mon retour sur Paris je décide de raconter leur histoire en créant le média AfrikaTech. L'objectif est de soutenir les entrepreneurs qui se battent quotidiennement en Afrique en leur offrant la visibilité, les connaissances, le réseautage et les capitaux nécessaires pour réussir. L'Afrique de demain se construit aujourd'hui ensemble. Rejoignez-nous ! LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/boubacardiallo

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