Lancée à Lagos, au Nigeria, en 2012, Jumia, leader du e-commerce, est considérée comme la première licorne Africaine évaluée à plus d’un milliard de dollars. Abdesslam Benzitouni, chef des relations publiques chez Jumia Group, nous explique les secrets de cette réussite et nous confie les ambitions du groupe. 

CIO MAG : Parlez-nous de la naissance de Jumia et de ses fondateurs.

Abdesslam Benzitouni, JUMIA : Jumia est né d’un constat d’abord. la croissance économique à deux chiffres notamment au Nigeria, Côte d’Ivoire, Kenya, Tanzanie, le fort  développement de la classe moyenne (1 tiers de la population en Afrique selon la BAD ) qui a de nouveaux besoins de consommations, l’accès d’une part importante de la population aux nouvelles technologies de la communication (450 millions d’utilisateurs d’internet accompagné par le boum de smartphone bon marché) et surtout le manque de centres commerciaux a fait que Jumia et l’e-commerce devenait pertinent pour ce continent en plein dynamisme.

Jumia est né au Nigeria dans la plus grande économie du continent, rappelons que le PIB de Lagos correspond au PIB de Côte d’Ivoire, Cameroun et Sénégal réunis. Jumia s’est rapidement étendu au Maroc, Egypte, Afrique du Sud, Kenya et Côte d’Ivoire. Aujourd’hui elle est présente dans 14 pays.  La plateforme a été fondée par deux français, Sacha Poignonnec et Jeremy Hodara, ex consultants Mc Kinsey passionnés d’Afrique et qui ont décidés de faire ce pari de l’e-commerce en Afrique.

Quel est le cœur de métier de Jumia aujourd’hui et quels sont ses chiffres clés par secteur et par pays ?

La marketplace, connecter des vendeurs à des acheteurs, est le cœur de notre métier. Toutes les 2 secondes une transaction est effectuée sur notre plateforme d’e-commerce. On a aujourd’hui plus de 50 000 vendeurs actifs sur Jumia qui utilisent quotidiennement notre plateforme dans les 14 pays où nous opérons.  Notre site propose plus de 14 millions de produits et il a reçu plus de 550 millions de visites en 2017 avec des pics allant jusqu’à 100 millions durant des campagnes promotionnelles tel que le Black Friday. Le Nigeria est notre plus grand marché, suivi par l’Egypte, le Kenya, la Côte d’Ivoire et le Maroc. En 6 ans enfin, Jumia a créé plus de 3500 emplois directs, au moins autant d’emplois indirect et à aider des milliers de vendeurs à augmenter leurs activités.

On parle de plus de 400 millions d’euros de levés de fonds depuis la création de Jumia. Quels sont vos principaux actionnaires ? Quel est le secret de réussite de ces levées ? 

Jumia a réussi à convaincre des investisseurs internationaux à croire au dynamisme du continent africain. Nous sommes fiers d’avoir réussi à apporter tous ces financements pour développer les infrastructures d’e-commerce et de participer à la nouvelle économie numérique en Afrique. Il y a 6 ans l’e-commerce n’existait pas, aujourd’hui c’est devenu une réalité et nos investisseurs ont confiance en notre projet.  Nos principaux actionnaires sont des géants de la télécommunication présents sur le continent MTN, Orange, Millicom (Tigo) mais aussi des entreprises internationales comme AXA, Goldman Sachs, CDC Group et l’Allemand Rocket Internet, VC et incubateur de start-up digitales dans le monde.

Au-delà du fondateur Rocket Internet et au vu de vos prestigieux actionnaires internationaux, peut-on, finalement, qualifier Jumia de Licorne « Africaine » ou internationale ? 

Jumia est une licorne 100% africaine car c’est une histoire africaine qui a commencé en 2012 à Lagos pour être présent aujourd’hui sur plusieurs pays. L’ensemble de l’activité se trouve sur le continent et 99% de nos collaborateurs basés en Afrique. Cette réussite prouve qu’il est possible d’attirer des investisseurs internationaux en Afrique et de réussir à porter un projet sur plusieurs pays avec une vision claire et sur le long terme. C’est un signe fort pour tous les entrepreneurs qui croient au dynamisme du continent. On espère être des pionniers et montrer le chemin à beaucoup d’autres start-ups africaines.

L’Afrique représente, à terme, un marché intérieur de près de 80 milliards, c’est très prometteur, mais cela justifie-t-il « la stratégie » de Jumia à continuer à perdre de l’argent ? On parle de plus de 110 millions de dollars par an … dans ce sens, comment fonctionne la stratégie de développement de Jumia en Afrique ?

Construire des infrastructures e-commerce en Afrique demande beaucoup d’investissements et de temps, que ce soit pour l’aspect logistique, marketing ou humain.  Les défis sont immenses, l’éducation de la population à l’achat sur internet, l’adaptation des paiements à une population non bancarisée, la livraison dans des villes ou des campagnes où l’infrastructure (sans parler des adresses) est très faible, la formation de nos employés à des métiers nouveaux.

Tous ces défis représentent de formidables opportunités. Aujourd’hui nous réfléchissons à moyen et long terme, pour les 10 ou 20 prochaines années car nous sommes en train de construire une nouvelle économie, de nouvelles routes digitales qui seront utilisées par des millions de vendeurs et clients. Imaginez le potentiel de l’Afrique, quand l’e-commerce ne représente que 0,6 % des achats alors qu’aux Etats Unis il est de 12%, et de 20% en Chine. Nous sommes persuadés que d’ici quelques années, le continent peut dépasser ces régions.

Quels sont les challenges de Jumia pour les prochaines années ?

Nous souhaitons offrir plus de services digitaux et financiers à tous nos utilisateurs. Nous avons lancé récemment au Nigéria et en Egypte, Jumia Pay, une plateforme de paiement, comparable à Paypal, qui permet aux acheteurs de payer en toute sécurité et qui à terme offrira un accès à différents services financiers tel que des prêts. C’est quelque chose que nous voulons développer sur l’ensemble de nos pays et apporter ainsi des solutions à une population qui n’a pas accès aux banques.

Nous avons créé la J-Force, un service d’agents commerciaux qui sont équipés de smartphones ou de tablettes qui se déplacent dans les zones non connectées, qui n’ont pas accès à internet, pour offrir les services de Jumia, C’est peut-être cela notre principal défi, atteindre cette population et lui montrer toutes les opportunités nouvelles qu’internet et l’e-commerce peuvent apporter.

Les challenges chez Jumia font partis de notre quotidien car il faut sans cesse s’adapter à des marchés jeunes, dynamiques et en plein bouleversement.

Plus généralement, quels sont, selon vous, les verrous de l’écosystème africain, qui bloquent la création d’autres licornes à l’image de Jumia ?

L’écosystème africain continue de se structurer autour notamment d’incubateurs et d’accélérateurs de plus en plus nombreux, concentrés essentiellement dans des marchés dynamiques telles que le Nigeria, l’Egypte, l’Afrique du Sud et surtout le Kenya. Les verrous financiers ou technologiques sont en train d’être peu à peu levés, le contexte général est de plus en plus favorable.

Les levées de fonds dont bénéficient aujourd’hui les startups Africaines, sont-elles conformes aux standards internationaux ? Serait-ce là un frein pour le développement de ces startups ? 

Au vu des noms des institutions qui investissent en Afrique (par exemple pour MKopa: Virgin Group, CDC group), les levées de fonds sont conformes aux standards internationaux puisqu’elles même -ces entreprises internationales- sont soumises à des cahiers des charges strictes (également valable pour Jumia avec des investisseurs de renom telles qu’Orange, AXA, Goldman, CDC Group qui ont des standards très élevés).

Le principal frein aujourd’hui tient surtout au fait que l’Afrique reste encore une terre inconnue pour 99% des investisseurs VC dans le monde. Nous espérons avoir contribué à faire connaître l’Afrique sur la scène Tech internationale. Nous n’avons aucun doute que le continent va attirer de plus en plus de financements et de plus en plus de talents du monde entier.

Pensez-vous que les startups africaines n’ont pas eu la chance de Jumia, et peinent à accéder au marché des capitaux ? Que faut-il faire pour que ça change ?

C’est surtout lié à la faible maturité de certains marché africains, à une infrastructure encore défaillante, une mauvaise connaissance de l’Afrique et la peur d’instabilités politiques.

Cela dit, selon certaines études, sur les 6 premiers mois de l’année 2018, les start-ups du continent ont levé autant que sur l’ensemble de l’année 2017. Cela confirme la très bonne santé de l’écosystème d’innovation africain et l’énorme potentiel de croissance du continent. Jumia a montré la voie en attirant des grands investisseurs et d’autres sont en train de la suivre et tout cela est encourageant pour l’avenir du continent africain.

Cio Mag

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CEO AfrikaTech

Comme beaucoup de personnes j’ai connu l’Afrique à travers des stéréotypes : l’Afrique est pauvre, il y a la guerre, famine… Je suis devenu entrepreneur pour briser ces clichés et participer à la construction du continent. J’ai lancé plusieurs entreprises dont Kareea (Formation et développement web), Tutorys (Plate-forme de e-learning), AfrikanFunding (Plate-forme de crowdfunding). Après un échec sur ma startup Tutorys, à cause d’une mauvaise exécution Business, un manque de réseau, pas de mentor, je suis parti 6 mois en immersion dans l’écosystème Tech au Sénégal. J’ai rencontré de nombreux entrepreneurs passionnés, talentueux et déterminés. A mon retour sur Paris je décide de raconter leur histoire en créant le média AfrikaTech. L'objectif est de soutenir les entrepreneurs qui se battent quotidiennement en Afrique en leur offrant la visibilité, les connaissances, le réseautage et les capitaux nécessaires pour réussir. L'Afrique de demain se construit aujourd'hui ensemble. Rejoignez-nous ! LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/boubacardiallo

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