Depuis le début des années 2000 en effet, l’organisation s’adresse aux entreprises du Benelux qui leur lèguent leurs ordinateurs, tablettes, smartphones et autres appareils désormais amortis. Ces équipements sont alors reconditionnés via leur partenaire Arrow Value Recovery avant d’être expédiés vers l’un des 22 pays africains où Close The Gap est actif pour être alors remis en service.

Il ne s’agit pourtant là que d’une partie de ses activités puisque dans la pratique, la stratégie est nettement plus large. Ainsi, l’organisation collabore avec des entités locales pour mener à bien divers projets. Et notamment au Kenya avec Computers For Schools Keyna (CFSK) qui prend en charge la distribution aux écoles locales, mais aussi le support (cf. encadré).

Livraison depuis l’Europe, mise en place locale

Data News s’est rendu au Kenya pour y visiter Computers For Schools Kenya, son organisation soeur WEEE Center et l’une des écoles qui a une nouvelle fois reçu des PC. L’occasion d’un moment festif pour les écoliers et pour le gouverneur de Nairobi d’apporter son soutien public à l’initiative (même s’il faut préciser que des élections se tiendront prochainement au Kenya).

longread: De l'ordinateur scolaire à l'entreprenariat en Afrique

© Nicolas Denis

Reste que sur le terrain, les projets de Close The Gap sont déployés dans un environnement qui n’a rien d’évident, sans oublier que le paysage évolue rapidement dans la mesure où les écoles opèrent dans un cadre de type ‘base of the pyramid’ où les parents des enfants scolarisés ne gagnent que quelques euros par jour. L’organisation travaille donc systématiquement avec des acteurs locaux qui connaissent mieux les besoins des populations du Kenya, de Tanzanie, du Congo et de bien d’autres pays. ” Ce que nous voulons absolument éviter, c’est d’établir un Close of the Gap local, explique Olivier Vanden Eynde, son fondateur et CEO. Nous sommes sur place pour supporter les acteurs de terrain et compenser leurs faiblesses en capitalisant sur les forces des différentes parties. Nous leur donnons la possibilité de bâtir des compétences et les mettons en contact avec des OEM, des recycleurs internationaux, des éditeurs de logiciels, etc. Nous assurons le travail sur le terrain. C’est ce que j’appelle la nouvelle coopération au développement en matière scolaire. ”

Manoeuvrer dans un paysage chaotique

Dans le même temps, l’organisation doit continuer à se distinguer d’autres organismes moins scrupuleux. Car d’aucuns utilisent l’Afrique occidentale pour y faire du dumping sur des produits électroniques ou électriques usagés. Du coup, plusieurs pays africains interdisent désormais ou taxent lourdement les appareils d’occasion. Du coup, le travail de Close The Gap ne s’en trouve pas facilité, même si l’organisation prévoit un processus de recyclage en aval. Une situation que comprend bien Vanden Eynde. ” Le fait est que la toute grande majorité des appareils électriques qui arrivent en Afrique via les grands ports est de qualité douteuse, voire tout bonnement à mettre au rebus. Les volumes traités par Close The Gap et quelques autres organisations comparables sont trop faibles pour redresser cette image. Nous entendons démontrer à notre micro-niveau que la chose est possible selon des procédés valables, évolutifs et impactants, et dès lors inspirer les autorités à donner un cadre législatif à l’écosystème que nous avons créé avec des acteurs locaux afin que d’autres acteurs puissent nous rejoindre et avoir ainsi un impact national plus important encore. ”

De leerlingen van de Ushirika Secondary School zijn een van de intussen 3.000 afnemers van gedoneerde computers.
© Nicolas Denis

Reste que les réalisations de l’ASBL sont d’ores et déjà impressionnantes. ” Voici 7 ans, l’Ouganda a fermé ses frontières à l’importation de matériel usagé. Mais comme ils nous connaissaient d’avant l’interdiction, qu’il s’agisse de l’ambassade belge ou du ministère de l’enseignement, et que nous travaillons de la manière la plus transparente possible, nous avons reçu l’autorisation de continuer à travailler via un waiver. Certes, la pression politique nous a obligé par la suite à arrêter nos activités et désormais, nous travaillons avec des produits neufs, comme le matériel BRCK [voir encadré, NDLR]. ”

Reste que les déchets électroniques ne constituent pas la seul raison des taxes et des interdictions d’importation. Ainsi, les Chinois ont découvert l’Afrique voici un certain temps déjà et sont désormais largement implantés sur place. Ainsi, des minerais sont échangés contre des infrastructures, tandis qu’en tant qu’atelier du monde, la Chine a tout intérêt à ce que le marché des produits recyclés soit fortement régulé. En effet, il arrive que dans certains pays, des taxes d’importation et une TVA de 30% doive être payée du jour au lendemain sur certains appareils qui sont distribués presque gratuitement à des groupes cibles comme des écoles publiques difficilement financées dans un pays comme le Kenya.

L’Afrique 2.0

Reste que l’évolution la plus importante se situe au niveau de la population même. Un bon nombre de pays africains souffrent encore de pauvreté et de malnutrition. Et si des pays comme le Kenya et l’Afrique du sud ne sont épargnés, ceux-ci connaissent depuis plus de 10 ans déjà un croissance économique soutenue tout en privilégiant les soins de santé et l’enseignement de base. Du coup, le pays compte désormais pas mal de cerveaux qui n’attendent pas la prochaine livraison de produits de nécessité ou de PC.

C’est précisément cette chance que Close The Gap entend saisir pour étendre son champ d’action. Notamment avec un fonds d’investissement ‘impact-first’ destiné à soutenir l’entreprenariat social. ” Des pays comme le Kenya connaissent une évolution intéressante. Ainsi, on voit toujours plus d’entrepreneurs [dont Brck Education et Kytabu, voir encadré, NDLR] qui s’intéressent à des éléments de notre chaîne de valeur. Ils sont souvent meilleurs, plus rapides et et plus agiles dans la mise en place de solutions. ” Ne qui ne signifie pas pour autant que l’organisation va arrêter ses activités de reconditionnement d’ordinateurs. Mais elle se prépare à une transition. ” Il s’agit sans doute d’un processus de démantèlement de type et-et dans le cadre d’un processus temporaire. Devons-nous choisir l’enseignement ou plutôt l’entreprenariat ? Il doit être possible de faire les deux. Car quel est l’intérêt d’un système d’enseignement s’il ne débouche pas sur du travail ? C’est pourquoi nous entendons soutenir les personnes dans la création de leur propre emploi. Par ailleurs, nous sommes incités par les autorités locales à continuer à faire ce que nous faisons, en collaboration avec des partenaires locaux comme CFSK. ”

Du bureau en Belgique à l’école à Nairobi

longread: De l'ordinateur scolaire à l'entreprenariat en Afrique

© Nicolas Denis

Donner une nouvelle vie à des ordinateurs usagés est particulièrement intéressant, sachant que la plupart des donateurs de Close The Gap amortissent leurs machines après 30 mois notamment. Sur le plan de l’économie circulaire, il s’agit aussi d’une vaste opportunité susceptible de créer un cycle de collaboration économique, écologique et au développement de type win-win-win. Cela étant, Close the Gap et son organisation soeur WorldLoop, focalisée surtout sur le recyclage et a notamment fondé en 2011 le WEEE Center, entendent offrir une valeur ajoutée à leurs donateurs. C’est ainsi que les données sensibles des ordinateurs sont entièrement et irrémédiablement effacées et indexées, ceci selon des normes en vigueur au sein de l’Otan e.a.Le cycle complet se divise en 3 étapes :

Reconditionnement 1 – collecte et effacement

Lors de la première étape, les appareils reçus (actuellement à partie de 30 unités) sont collectés avant d’être effacés, reconditionnés et documentés par Arrow Value Recovery. ” Cette opération est non seulement importante pour les entreprises participantes, mais aussi d’un point de vue légal, explique Olivier Vanden Eynde, fondateur et CEO de Close the Gap. Tant que l’on ne peut pas démontrer avec précision de quels produits il s’agit, on se situe dans une zone grise entre produit et déchet, lequel ne peut pas soit être exporté d’Europe, soit importé dans de nombreux pays africains. La garantie de qualité, l’effacement et le contrôle se révèlent donc important pour tous les partenaires. Ainsi, Recupel est un partenaire important et support le système de recyclage WorldLoop cofinancé depuis le lancement en 2011. Du fait que nous documentons rigoureusement toutes les étapes, nous réduisons les flux de fuite légaux en Belgique de produits qui sont commercialisés ici, mais qui ne sont pas recyclés via Recupel. ” Pour Close The Gap également, qui entend se distinguer d’autres acteurs qui opèrent uniquement à l’exportation et qui écoulent les e-déchets, camouflés en PC, par le biais du dumping dans les pays du Sud.

Olivier Vanden Eynde, fondateur et ceo de Close the Gap.

Olivier Vanden Eynde, fondateur et ceo de Close the Gap. © Nicolas Denis

Reconditionnement 2 – remise en route et distribution

La phase 2 se déroule dans le pays où les ordinateurs sont remis en circulation. Des partenaires locaux importent les appareils, règlent si nécessaire les taxes d’importation et assurent la mise en service dans les écoles. ” Nous donnons la préférence aux acteurs locaux parce que nous ne voulons pas perturber le marché et que nous voulons créer des emplois durables et locaux, poursuit Vanden Eynde. Nous voulons surtout faire de Close the Gap la cheville ouvrière d’entrepreneurs locaux qui créent de l’emploi sur place et desservent des groupes qui ne sont pas dans le circuit classique de l’IT. En principe, une école peut parfaitement s’adresser à Appe ou Dell Nairobi pour des PC avec contrat d’entretien. Mais cela coûte souvent des dizaines de milliers d’euros, ce que la plupart des écoles ne peuvent se permettre. ”

Les organisations partenaires sont également responsables de la distribution qualitative. ” Une école aimerait évidemment avoir des ordinateurs, mais sans électricité, internet ou un minimum de sécurité, c’est peine perdue. Ainsi, l’école doit être en mesure de payer ses enseignants et doit pouvoir disposer d’au moins 2 enseignants formés par nos partenaires locaux, lesquels peuvent ensuite accéder à notre helpdesk. ”

Le Waste Electrical and Electronic Equipment Centre (WEEE Centre) est l'une des organisations soeurs de CFSK qui assure le traitement des appareils définitivement en fin de vie.

 © Nicolas Denis

L’objectif est en l’occurrence de limiter l’impact de la rotation de personnel parmi les enseignants. Mais en réalité, le problème se situe aussi dans certains régions au niveau de la forte mortalité, notamment en raison du sida qui impacte le fonctionnement quotidien d’une école. ” Etant donné qu’il y a 2 enseignants, nous pouvons garantir davantage de continuité. ” Autant de mesures qui évitent que les appareils ne s’inscrivent dans un projet de prestige pour un directeur et ne soient ensuite plus jamais utilisés. L’organisation essaie donc ainsi d’investir de manière qualitative et de participer à la lutte contre le fossé numérique.

Reconditionnement 3 – collecte et traitement

Le projet ne se termine pas par la distribution des PC. Les appareils installés dans les écoles disposent d’un contrat d’entretien et d’un helpdesk propre. Mais leur vie a également une fin. Dans la dernière phase de projet, lorsque les PC sont en fin de vie, les appareils sont à nouveau collectés par un partenaire local, dont CFSK pour le Kenya. Celui-ci assure que les appareils ne seront pas mis au rebus. En pratique, CFSK compte sur une organisation soeur, WEEE (Waste Electrical and Electronic Equipment Center) qui démonte les appareils et trie les différents types de matériaux, en s’intéressant surtout aux matières toxiques ou dangereuses, celles-ci étant ensuite souvent – lorsque les volumes sont suffisants – à nouveau acheminés vers l’Europe, notamment vers Umicore, Van Gansewinkel ou Galloo pour un ultime traitement. Cette boucle permet d’éviter que les appareils qui ont connu une seconde vie en Afrique ne terminent dans des décharges locales.

longread: De l'ordinateur scolaire à l'entreprenariat en Afrique

© Nicolas Denis

Brck Education – L’enseignement numérique dans une valise

L’un des projets supportés par Close the Gap est le Kio Kit de BRCK Education. Cette entreprise kenyane commercialise de grandes valises noires qui entendent offrir une solution sur-mesure aux écoles et enseignants africains.

La boîte comprend 40 tablettes Kio et le Super Brick, un concentrateur sur lequel est téléchargé le matériel didactique avant d’être distribué vers les tablettes qui ont ainsi toutes le même contenu simultanément. Ces tablettes à écran 7 pouces peuvent même être chargées sans fil une fois installées dans la boîte, offrent 8 h d’autonomie, sont résistantes à la poussière et à l’humidité et résistent à une chute de 70 cm.

Nivi Sharma, présidente de BRCK Education, explique comment le Kio Kit se veut une solution simple, sur-mesure pour les écoles kényanes.

Nivi Sharma, présidente de BRCK Education, explique comment le Kio Kit se veut une solution simple, sur-mesure pour les écoles kényanes. © Nicolas Denis

” Nous avons conçu cette solution sur base de l’expérience d’utilisateurs dans des écoles kenyanes, même situées en dehors de la capitale “, explique Nivi Sharma, président de BRCK Education. Et d’ajouter que certains éléments comme le chargement simultané sans fil ou l’étanchéité peuvent faire une grande différence en termes d’utilisation. ” La boîte n’a qu’une seule prise et un seul bouton pour la commander. Le contenu est téléchargé la nuit, ce qui permet à tous les élèves de disposer le matin de la même matière. Par ailleurs, nous avons fait en sorte d’interdire Facebook ou l’utilisation d’un navigateur, sans quoi il s’agit de jouets. Même s’il existe des jeux qui peuvent servir d’apprentissage pour l’élève. ”

De Kio Kit van BRCK Education kan tot 40 tablets draadloos opladen en van content voorzien.

© Nicolas Denis

BRCK Education démontre qu’une solution locale peut souvent se révéler mieux adaptée aux besoins du terrain. Cela dit, l’organisation a dû ces 6 dernières années adapter son produit à l’utilisation du Kio Kit. ” Donner des appareils à une école n’est pas suffisant, remarque Sharma. C’est ainsi que nous avons constaté relativement tard qu’il était également important de former les enseignants à utiliser ces appareils. Un enseignant moyen ne connaît en général pas la différence entre un câble Ethernet et VGA. Mais ce n’est pas forcément nécessaire d’ailleurs, surtout s’il sait qu’il existe dans l’école une personne qui connaît l’informatique. ”

http://education.brck.com/

Kytabu – Achat en ligne de matériel didactique

Kytabu, ‘livre’ en wwahili, entend démocratiser l’accès au matériel éducatif. L’entreprise de Tonee Ndungu a été fondée en 2012 et permet aux enseignants, éditeurs et autres la possibilité d’offrir du matériel didactique sous forme numérique via son réseau. Pour leur part, les élèves peuvent choisir de ‘louer’ des pages, chapitres ou livres complets durant une certaine période (heure, jour, semaine ou mois).

” Nous proposons des vidéos, des leçons, des matières, des tests standards et des examens via notre plateforme numérique. Les enseignants peuvent également gagner de l’argent en créant du contenu propre, à condition que cela reste financièrement abordable pour l’étudiant. Les abonnements coûtent 2, 4, 6 ou 8 $ par mois. ” Kytabu table pour 2018 sur 30.000 utilisateurs mensuels actifs. En tout cas, la cible est vaste. Environ 50% de la population kenyane a en effet moins de 20 ans, la moitié de celle-ci ayant accès à un appareil mobile tandis que 78% ( !) de la population utilisent des solutions de paiement mobile comme M-Pesa largement répandu tant chez les jeunes que les plus âgés

About The Author

CEO AfrikaTech

Comme beaucoup de personnes j’ai connu l’Afrique à travers des stéréotypes : l’Afrique est pauvre, il y a la guerre, famine… Je suis devenu entrepreneur pour briser ces clichés et participer à la construction du continent. J’ai lancé plusieurs entreprises dont Kareea (Formation et développement web), Tutorys (Plate-forme de e-learning), AfrikanFunding (Plate-forme de crowdfunding). Après un échec sur ma startup Tutorys, à cause d’une mauvaise exécution Business, un manque de réseau, pas de mentor, je suis parti 6 mois en immersion dans l’écosystème Tech au Sénégal. J’ai rencontré de nombreux entrepreneurs passionnés, talentueux et déterminés. A mon retour sur Paris je décide de raconter leur histoire en créant le média AfrikaTech. L'objectif est de soutenir les entrepreneurs qui se battent quotidiennement en Afrique en leur offrant la visibilité, les connaissances, le réseautage et les capitaux nécessaires pour réussir. L'Afrique de demain se construit aujourd'hui ensemble. Rejoignez-nous ! LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/boubacardiallo

Related Posts

Leave a Reply

Your email address will not be published.